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Les dangers de l’auto-motivation dans le travail du lien à l’autre

Les dangers de l’auto-motivation dans le travail du lien à l’autre Posted on 19 février 2021Leave a comment

Récemment, ma structure a fait appel à un prestataire pour établir un diagnostic des besoins en formation des salariés.
Dans une session de travail, nous avons logiquement abordé les besoins de la population (je travaille en département: nous sommes au service des habitants du territoire). L’objectif était de comprendre dans un premier temps pourquoi ils s’adressent à nous, et dans un deuxième temps ce qu’il nous manque pour répondre à leurs besoins.

Un constat est vite ressorti parmi les participants: puisque nous sommes dans un service public, le plus important est de répondre à la demande, et ce quoiqu’il nous en coûte. En effet, nous souffrons assez de l’image du « fonctionnaire-qui-ne-fout-rien ». Quitte à puiser dans des ressources et des motivations internes pour produire un travail de qualité.

Au vu des situations prises en exemple, le prestataire a très vite pointé du doigt ce qui pouvait poser problème: un déséquilibre entre l’ardeur à trouver des solutions et les moyens objectivement offerts par l’institution.

C’est comme si, sur la base de nos valeurs de service public, on avait le DEVOIR de s’auto-motiver, et qu’on s’habituait consciemment ou inconsciemment à cet état de fait. Peut-être que ce ce cas de figure te parle à toi aussi. Pour ma part, je l’ai ressenti encore plus fort quand je travaillais dans le secteur de l’insertion.

1- L’engagement fort des salariés « au service de » la population et de l’autre

En effet, quand je travaillais en asso, un critère de recrutement était un engagement fort dans les valeurs humaines et sociales. Il était de bon ton de s’investir, et même au-delà des moyens fournis par l’institution. Nous devions agir avec nos maigres moyens pour une bonne cause: contribuer à l’insertion professionnelle des personnes sans emploi de notre territoire.

Mais, avec le recul, je crois qu’être un bon professionnel équivalait réellement à faire « plus ». Les dés étaient faussés. Par exemple, un membre du CA (conseil d’administration) nous avait demandé une fois, sur un ton assez moralisateur, quel était le dernier livre sur l’accompagnement qu’on avait lu.

Plus tard, j’ai continué mon petit bonhomme de chemin et je suis arrivée à travailler en département. Le fait de travailler avec des collègues de métiers très différents m’amène toujours à une prise de recul intéressante. J’aime beaucoup observer leur rapport au travail.

C’est en observant que j’ai compris: en général, les personnes qui s’adonnent à de nouveaux projets, qui travaillent dur, ont un retour sur investissement tangible: que ce soit des primes, de nouveaux réseaux, un nouveau poste, la reconnaissance du travail effectué, des remerciements, des meilleures conditions de travail, des aménagements, de l’espace pour de nouveaux projets …

Alors que quand on on travaille dans le lien à l’autre, on peut trouver normal de surinvestir son activité sans rien attendre en retour de notre employeur. La satisfaction d’avoir fait du bon boulot, ou de voir l’autre s’épanouir devrait être suffisant, puisque l’on a choisi ce métier. Pour autant, c’est de l’énergie, qui doit être reconnue en tant que tel.

2- Le problème du manque de reconnaissance

La manière dont on s’implique dans notre activité crée de la valeur ajoutée à notre travail. Cette valeur ajoutée est ce que nous donnons en plus, notre adaptation, notre touche personnelle pour répondre à une attente ou pour que tout se passe au mieux.
C’est par exemple créer des passerelles ou des ponts qui n’existent pas entre structures pour accéder à une prestation, obtenir une information cruciale, etc etc.

Les difficultés commencent quand on ne perçoit pas de reconnaissance pour notre investissement.
En effet, lorsque son travail est reconnu, on se sent bien. On a réalisé quelque chose, et même plus, on devient quelqu’un de bien parce qu’on a réalisé cette chose. Par contre, si ce “je suis quelqu’un” n’est pas reconnu, on va se décourager. On va considérer que son travail est quelconque, qu’on est remplaçable. Il ne sert plus à rien de mettre suffisamment du sien pour que le travail soit bien fait.

Mais je pense sincèrement qu’il y a encore plus préoccupant.
C’est le fait d’accepter les systèmes de travail dans lesquels on valorise notre abnégation, et on banalise notre investissement.
Cette façon de raisonner a pour conséquence d’entraîner un sentiment de culpabilité parce-qu’on ne se sent pas à la hauteur de notre mission. De plus, il n’y a aucune chance de mettre le doigt sur ce qui manque vraiment pour faciliter le travail, ni de pointer les moyens et ressources qui seraient utiles.

3- Les autres conséquences de l’excès d’engagement pour soi et pour les autres

On peut tout à fait être et rester d’un tempérament fort et engagé dans ce qu’on entreprend. Il est cependant utile de se rappeler des écueils qui peuvent jalonner notre parcours professionnel :

1) le manque d’objectivité
C’est ce qui arrive quand on est beaucoup dans l’émotionnel, l’adrénaline, l’automotivation. On ne permet pas à l’organisation ou à la hiérarchie de prendre de nouvelles mesures adéquates.
De plus, quand on donne beaucoup, on se sent vite attaqué sur sa personne. C’est tout simplement parce que c’est sa propre perception du travail qui tient lieu de motivation et qui nous a fait tenir. Le regard de l’autre devient plus intrusif que constructif.

2) la fragilisation du collectif
Quand on est très impliqué au niveau individuel, on peut délaisser l’aspect pluridisciplinaire, l’importance des autres acteurs, l’aspect collectif du travail. Hors, on ne travaille pas seul, on est toujours en relation avec le travail des autres. C’est important de s’en rappeler, surtout si on a tendance se sentir hyper-responsable en toutes situations.

3) l’épuisement
A force de vouloir absolument tenir, on en fait trop. Dans la durée, cela mène invariablement à l’épuisement.

Pour conclure, les personnes qui s’auto-motivent en permanence pensent qu’elles ne peuvent compter que sur leur force de leur caractère pour mener des choses à bien. C’est un comportement qui peut être valorisé par son organisation, ou induit par soi-même. Pour ma part c’est certainement le fait de vivre un mix de tout cela (sans y mettre les mots) qui m’a mené au burn-out il y a une quinzaine d’années. Je ne pouvais pas fournir ce qui était attendu de moi.

Dans le contexte de nos vies actuelles, je pense qu’il sera de plus en plus difficile de brandir uniquement notre motivation pour faire du bon travail (après tout ce que notre vie personnelle nous demande d’adaptation). C’est aussi l’enjeu de la reconnaissance des métiers du soin, du social, de l’éducation. Avant d’obtenir des résultats au niveau collectif, nous pouvons commencer à notre propre niveau: exprimer ce dont on a besoin pour bien travailler n’est pas une marque de faiblesse, c’est simplement s’assurer de réunir des conditions permettant de durer plus dans le temps.

Dans cet article, je déconstruis un aspect du mythe du super-héros, du sauveur quand on fait de l’accompagnement. Mais toi, qu’en penses-tu?

Carol

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